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cas, je dus m’avouer qu’il me plaisait, et que ma sympathie reposait sur autre chose que son intelligence dans la discussion. En dépit de ses biceps, de sa poitrine de boxeur, il me faisait l’effet d’un garçon candide. Sous son déguisement de fanfaron intellectuel je devinais un esprit délicat et sensitif. Ses impressions m’étaient transmises par des voies que je ne puis définir autrement que comme mes intuitions féminines.

Il y avait dans son appel de clairon quelque chose qui m’était allé au cœur. Je croyais encore l’entendre et je désirais l’entendre de nouveau. J’aurais eu plaisir à revoir dans ses yeux cet éclair de gaîté qui démentait le sérieux impassible de son visage. D’autres sentiments vagues mais plus profonds remuaient en moi. Déjà je l’aimais presque. Pourtant, si je ne l’avais jamais revu, je suppose que ces sentiments imprécis se seraient effacés et que je l’aurais oublié assez facilement.

Mais ce n’était pas ma destinée de ne jamais le revoir. L’intérêt que mon père éprouvait depuis peu pour la sociologie et les dîners qu’il donnait régulièrement, excluaient cette éventualité. Père n’était pas un sociologue : sa spécialité scientifique était la physique, et ses recherches dans cette branche avaient été fructueuses. Son mariage l’avait rendu parfaitement heureux. Mais, après la mort de ma mère, ses travaux ne purent combler le vide. Il s’occupa de philosophie avec un intérêt d’abord mitigé, puis grandissant de