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grand pique-nique national. L’idée de solidarité du travail, mise en relief sous cette forme, frappa l’imagination de tous. En définitive, il n’y avait aucun danger à courir dans cette colossale espièglerie. Qui pouvait-on punir quand tout le monde était coupable ?

Les États-Unis étaient paralysés. Personne ne savait ce qui se passait ailleurs. Il n’y avait plus ni journaux, ni lettres, ni dépêches. Chaque communauté était aussi complètement isolée que si des millions de lieues désertiques l’eussent séparée du reste du monde. Pratiquement, le monde avait cessé d’exister : et il resta toute une semaine en cet étrange suspens.

À San-Francisco nous ignorions même ce qui se passait de l’autre côté de la baie, à Oakland ou à Berkeley. L’effet produit sur les natures sensibles était fantastique, oppressif. Il semblait que quelque chose de grand était mort, qu’une force cosmique venait de disparaître. Le pouls du pays avait cessé de battre, la nation gisait inanimée. On n’entendait plus le roulement des tramways et des camions dans les rues, ni les sifflets d’usines, ni les murmures électriques dans l’air, ni les cris des vendeurs de journaux, — rien que les pas furtifs de gens isolés qui, par instants, glissaient comme des fantômes, et dont la démarche même était rendue indécise et irréelle par le silence.

Or, pendant cette grande semaine silencieuse, l’oligarchie apprit sa leçon, et l’apprit bien. La