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semaine… C’est vrai qu’on ne peut pas manger beaucoup quand il n’y a pas de travail. J’y suis habituée. J’ai cousu toute ma vie, dans mon vieux pays autrefois, puis ici à San-Francisco, — depuis trente-trois ans…

« Quand on peut tirer son loyer tout va bien. Le propriétaire est très bon, mais il faut qu’il touche son terme. C’est bien juste, n’est-ce pas ? Il ne prend que trois dollars pour cette chambre. Ce n’est pas cher. Néanmoins, on a bien de la peine à trouver ces trois dollars tous les mois. »

Elle cessa de parler, sans cesser de coudre en remuant la tête.

— Vous devez faire joliment attention pour vos dépenses avec ce que vous gagnez.

Elle fit un signe de vive approbation.

— Une fois le loyer payé ça ne va pas trop mal. Naturellement on ne peut acheter de viande, ni de lait pour le café. Mais on fait toujours un repas par jour, et quelquefois deux.

Elle avait prononcé ces derniers mots avec un soupçon de fierté, un vague sentiment de succès. Mais, comme elle continuait à coudre en silence, je vis de la tristesse s’amasser dans ses bons yeux et les coins de sa bouche s’abaisser. Son regard était devenu distant. Elle frotta vivement la buée qui l’empêchait de coudre.

« Non, ce n’est pas la faim qui vous brise le cœur, expliqua-t-elle. On s’y habitue. C’est pour mon enfant que je pleure. C’est la machine