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Je me sentais envahie d’une tristesse indicible. Ses explications étaient équivoques, et il appréhendait si visiblement ce que je pourrais dire que je n’eus pas le cœur de lui faire la moindre représentation. Il me parla de sa maladie d’un ton détaché ; nous causâmes à bâtons rompus de l’église, des réparations de l’orgue et de mesquines œuvres de charité. Enfin il me vit partir avec un soulagement tel que j’en aurais ri si mon cœur n’eût été gonflé de larmes.

Pauvre frêle héros ! Si seulement j’avais su ! Il luttait comme un géant, et je ne m’en doutais pas. Seul, tout seul parmi les millions de ses semblables, il menait le combat à sa manière. Déchiré entre son horreur de la maison de fous et sa fidélité envers la vérité et la justice, c’est à celles-ci qu’il s’accrochait désespérément ; mais il était si isolé qu’il n’osait même pas se fier à moi. Il avait bien, trop bien appris sa leçon.

Je n’allais pas tarder à être édifiée. Un beau jour l’évêque disparut. Il n’avait prévenu personne de son départ. Les semaines s’écoulaient sans qu’il revînt : il y eut des bavardages ; la rumeur courut qu’il s’était suicidé dans un accès de dérangement mental. Mais ces bruits se dissipèrent lorsqu’on apprit qu’il avait vendu tout ce qu’il possédait, — sa résidence dans la cité, sa maison de campagne à Menlo Park, ses tableaux et collections artistiques, et même sa chère bibliothèque. Il avait évidem-