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cienne ; la fatigue s’effaçait de ses yeux, et j’y voyais poindre cette heureuse lueur d’amour qui, par elle-même, était une nouvelle et suffisante affirmation de son immortalité.

D’autres fois, il m’appelait sa chère dualiste, et m’expliquait comment Kant, au moyen de la raison pure, avait aboli la raison pour adorer Dieu. Il établissait un parallèle et m’accusait d’un tour analogue. Et quand, plaidant coupable, je défendais cette manière de penser comme profondément rationnelle, il ne faisait que me serrer plus fort et rire comme seul pourrait le faire un amant élu de Dieu.

Je me refusais à admettre que son originalité et son génie fussent explicables par l’hérédité et le milieu, ou que les froids tâtonnements de la science réussissent jamais à saisir, analyser et classer la fuyante essence qui se dissimule dans la constitution même de la vie.

Je soutenais que l’espace est une apparence objective de Dieu, et l’âme une projection de sa nature subjective. Et quand Ernest m’appelait sa douce métaphysicienne, je l’appelais mon immortel matérialiste. Et nous nous aimions et nous étions parfaitement heureux ; je lui pardonnais son matérialisme en faveur de cette œuvre immense accomplie dans le monde sans souci de progrès personnel, en faveur aussi de cette excessive modestie spirituelle qui l’empêchait de s’enorgueillir et même d’avoir conscience de son âme princière.