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mais comme une potentialité de paix et de repos. Je lui apportai le calme : ce fut mon don d’amour pour lui, et pour moi le signe infaillible que je n’avais point failli à ma tâche. Provoquer l’oubli des misères ou la lumière de la joie dans ces pauvres yeux fatigués, — quelle plus grande joie pouvait m’être réservée à moi-même ?

Ces chers yeux lassés ! Il se prodigua comme peu d’hommes l’ont fait, et toute sa vie ce fut pour les autres. Telle fut la mesure de sa virilité. C’était un humanitaire, un être d’amour. Avec son esprit de bataille, son corps de gladiateur, et son génie d’aigle, il était doux et tendre pour moi comme un poète. C’en était un, qui mettait ses chants en action. Jusqu’à sa mort il chanta la chanson humaine ; il la chanta par pur amour de cette humanité pour laquelle il donna sa vie et fut crucifié.

Et tout cela sans le moindre espoir d’une récompense future. Dans sa conception des choses, il n’y avait pas de vie à venir. Lui, en qui flamboyait l’immortalité, il se la refusait à lui-même, et c’était là le paradoxe de sa nature. Cet esprit brûlant était dominé par la philosophie glacée et sombre du monisme matérialiste. J’essayais de le réfuter en lui disant que je mesurais son immortalité d’après les ailes de son âme, et qu’il me faudrait des siècles sans fin pour apprécier exactement leur envergure. À ces moments-là il riait, et ses bras s’élançaient vers moi, et il m’appelait sa douce métaphysi-