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nous allâmes à San-Francisco nous établir dans quatre misérables chambres du bas quartier au sud de Market Street, il s’embarqua dans cette nouvelle vie avec la joie et l’enthousiasme d’un enfant, équilibrés par la vision claire et la vaste compréhension d’un cerveau de premier ordre. Il était à l’abri de toute cristallisation mentale et de toute fausse appréciation des valeurs : celles de convention ou d’usage n’avaient aucun sens pour lui ; les seules qu’il reconnût étaient les faits mathématiques et scientifiques. Mon père était un être exceptionnel : il avait un esprit et une âme comme en possèdent seuls les grands hommes. Par certains côtés, il était supérieur même à Ernest, le plus grand cependant que j’aie jamais rencontré.

J’éprouvai moi-même quelque soulagement de ce changement d’existence, ne fût-ce que la joie d’échapper à l’ostracisme méthodique et progressif que nous avions encouru dans notre ville universitaire avec l’inimitié de l’oligarchie naissante. À moi aussi cette vie nouvelle apparut comme une aventure, et la plus grande de toutes, puisque c’était une aventure d’amour. Notre crise de fortune avait hâté mon mariage, et c’est en qualité d’épouse que je vins habiter le petit appartement de Pell Steet, dans le bas quartier de San-Francisco.

Et de tout cela voici ce qui subsiste : j’ai rendu Ernest heureux. Je suis entrée dans sa vie orageuse, non pas comme un élément de trouble,