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un certain nombre d’années. Père n’éleva pas de protestation : comme on lui avait volé son revenu, on lui volait sa maison, et il n’avait pas de recours possible. Le mécanisme de la société était entre les mains de ceux qui s’étaient juré de le perdre. Comme au fond c’était un philosophe, il ne se mettait même plus en colère.

— Je suis condamné à être brisé, me disait-il. Mais ce n’est pas une raison pour que je n’essaie pas d’être fracassé le moins possible. Mes vieux os sont fragiles, et la leçon a porté ses fruits. Dieu sait que je ne tiens pas à passer mes derniers jours dans un asile d’aliénés.

Cela me rappelle que je n’ai pas encore raconté l’aventure de l’évêque. Mais je dois parler d’abord de mon mariage. Comme son importance s’efface dans une série de pareils événements, je n’en dirai que quelques mots.

— Maintenant, nous allons devenir de vrais prolétaires, dit Père quand nous fûmes chassés de chez nous. J’ai souvent envié à ton futur mari sa parfaite connaissance du prolétariat. Je vais pouvoir observer et me rendre compte par moi-même.

Père devait avoir le goût de l’aventure dans le sang, car c’est sous ce jour qu’il envisageait notre catastrophe. Ni la colère ni l’amertume n’avaient prise sur lui. Il était trop philosophe et trop simple pour être vindicatif, et il vivait trop dans le monde de l’esprit pour regretter les aises matérielles que nous abandonnions. Quand