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possédais pas encore sur le bout du doigt, comme Ernest, les dures réalités de l’existence. Il voyait clairement la futilité de cette grande âme, et les événements prochains allaient me la révéler avec non moins de clarté.

Ce fut peu de jours après qu’Ernest me raconta, comme une histoire très drôle, l’offre qu’il avait reçue du Gouvernement : on lui proposait le poste de secrétaire d’État au ministère du Travail. Je fus remplie de joie. Les appointements étaient relativement élevés, et c’était un appoint solide pour notre mariage. Ce genre d’occupation convenait certainement à Ernest, et la jalouse fierté qu’il m’inspirait me faisait considérer cette avance comme une juste reconnaissance de ses capacités.

Tout à coup je remarquai l’étincelle de gaieté dans ses yeux : il se moquait de moi.

— Vous n’allez pas… refuser ? dis-je d’une voix tremblante.

— C’est tout simplement une tentative de corruption, dit-il. Il y a là-dedans la fine main de Wickson, et, derrière la sienne, celle de gens encore plus haut placés. C’est un truc aussi ancien que la lutte de classes elle-même, qui consiste à chiper ses capitaines à l’armée du travail. Pauvre travail éternellement trahi ! Si vous saviez combien de ses chefs dans le passé ont été achetés de façon analogue ! Cela revient moins cher, bien moins cher, de soudoyer un général, que de le combattre avec toute son armée. Il y