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— Très bien ! dit Ernest. Vous prenez la même route que l’évêque Morehouse, et vous marchez vers une catastrophe analogue. Vous serez tous deux réduits à l’état de prolétaires avant d’arriver au but.

La conversation dériva sur le compte du prélat, et nous demandâmes à Ernest de nous raconter ce qu’il avait fait de lui.

— Il est malade jusqu’à l’âme du voyage où je l’ai entraîné à travers les régions infernales. Je lui ai fait visiter les taudis de quelques-uns de nos ouvriers d’usine. Je lui ai montré les déchets humains que rejette la machine industrielle, et il les a entendus raconter leur existence. Je l’ai conduit dans les bas-fonds de San-Francisco, et il a pu voir que l’ivrognerie, la prostitution et la criminalité ont une cause plus profonde que la dépravation naturelle. Il en est resté sérieusement atteint dans sa santé, et, ce qui est pire, il est emballé. Le choc a été trop rude pour ce fanatique de morale. Et, comme toujours, il n’a le moindre esprit pratique. Il s’agite à vide parmi toutes sortes d’illusions humanitaires et de projets de missions chez les classes cultivées. Il sent que c’est pour lui un devoir inéluctable de ressusciter l’ancien esprit de l’église et de communiquer son message aux maîtres du jour. Il est surchauffé : tôt ou tard il va éclater, et je ne puis prédire quelle forme prendra la catastrophe. C’est une âme pure et enthousiaste, mais si peu pratique ! Il me dépasse : je ne puis