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— Je voudrais vous faire partager une impression qui se forme lentement dans mon esprit, — dit Ernest. Jamais, dans l’histoire du monde, la société ne s’est trouvée emportée dans un flux aussi terrible qu’à l’heure actuelle. Les rapides modifications de notre système industriel en entraînent de non moins promptes dans toute la structure religieuse, politique et sociale. Une révolution invisible et formidable est en train de s’accomplir dans les fibres intimes de notre société. On ne peut sentir que vaguement ces choses-là : mais elles sont dans l’air, en ce moment même. On pressent l’apparition de quelque chose de vaste, de vague et d’effrayant. Mon esprit se refuse à prévoir sous quelle forme cette menace va se cristalliser. Vous avez entendu Wickson l’autre soir : derrière ce qu’il disait se dressaient ces mêmes entités sans nom et sans forme ; et c’était leur conception surconsciente qui inspirait ses paroles.

— Vous voulez dire…, commença Père, qui s’arrêta, hésitant.

— Je veux dire qu’une ombre colossale et menaçante commence dès maintenant à se projeter sur le pays. Appelez cela l’ombre d’une oligarchie, si vous voulez : c’est la définition la plus approximative que j’ose en donner. Je me récuse à imaginer quelle en est au juste la nature[1].

  1. Il y avait eu, avant Everhard, des hommes qui avaient pressenti cette ombre, bien que comme lui, ils fussent incapables d’en préciser la nature. Voici