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JACK LONDON

dont le rythme s’évanouit dès que nous tentons de le fixer, en rouvrant les yeux ?

— Alors, la vie, pour vous, qu’est-ce que c’est ? demandai-je à mon tour.

— La vie… s’exclama Loup Larsen. Je pense que c’est une chose plutôt répugnante. C’est une levure qui bout, une fermentation qui dure, selon les cas, une heure, un jour, une année, un siècle parfois. Puis qui s’arrête.

« Durant ce temps, les gros, pour se nourrir, mangent les petits. Les forts, pour conserver leur force, dévorent les faibles. Ceux qui ont plus de chances sont plus gros que les autres et vivent plus longtemps. Un point c’est tout. Qu’en pensez-vous ?

Il me montra de la main un groupe de matelots occupés, un peu plus loin, à une manœuvre.

— L’homme s’agite, s’agite sans cesse. C’est la loi. Il s’agite, pour gagner son pain et pour pouvoir continuer à s’agiter. C’est un cercle vicieux. Un beau jour, il s’arrête. C’est la fin. Il est mort.

— Il a des rêves, interrompis-je. Des rêves étincelants et radieux…

— Des rêves du ventre !

— Et d’autres aussi…

— Des rêves du ventre, c’est tout, il n’y en a pas d’autres ! Tout se ramène à ça. Tous, tant que nous sommes, nous rêvons de trouver la fortune sur notre route, d’effectuer d’heureux voyages, de réussir dans nos entreprises, qui mettront plus d’argent dans notre poche.

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