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LE LOUP DES MERS

Le livre était resté ouvert à l’ode intitulée : Sur un balcon, et je remarquai, çà et là, des passages soulignés au crayon.

Bien plus, à la suite d’une oscillation du bateau, le volume me glissa des mains, une feuille de papier s’en échappa ; elle était couverte de figures de géométrie et de calculs algébriques.

Il paraissait donc évident que Loup Larsen, cet homme redoutable, n’était pas un ignorant et une simple brute, comme on aurait pu le déduire par ses excès de violence.

Deux natures étaient accouplées en lui, en une association déconcertante. J’avais, d’ailleurs, remarqué déjà la correction presque parfaite de son langage. Évidemment, lorsqu’il parlait à ses matelots ou aux chasseurs de phoques, il s’exprimait en phrases familières, émaillées de barbarismes et de solécismes. Mais il n’y avait rien à reprendre dans les quelques mots qu’il m’avait personnellement adressés.

Cette découverte me réconforta au point que, rencontrant peu après Loup Larsen, qui était seul à arpenter l’arrière du Fantôme, je me risquai à l’entretenir de l’argent qui m’avait été subtilisé.

— On m’a volé… lui dis-je.

— … capitaine ! corrigea-t-il, d’une voix ferme, sinon dure.

Je répétai :

— On m’a volé, capitaine.

— Comment ça vous est-il arrivé ?

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