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Jack London

plus que des êtres plus primitifs et plus rudes.

Malgré mon extrême fatigue, qui confinait à l’épuisement, mon genou m’empêcha de dormir. Tout ce à quoi je réussis, ce fut à me retenir de gémir tout haut.

Si je m’étais trouvé chez moi, je ne m’en serais pas privé. Mais mon nouvel entourage exigeait de ma part, sur ce chapitre, une retenue obligatoire. Ces hommes étaient stoïques, aux heures graves, et puérils dans les petites choses. Je me souviens d’avoir vu un dénommé Kerfoot, au cours de la traversée, perdre un doigt, qui fut écrasé et réduit en bouillie, sans un murmure, sans une contraction du visage.

Et je vis, à plusieurs reprises, le même homme se laisser emporter, pour des bagatelles, à des colères terribles.

Ce soir-là, il vociférait, gesticulait, et jurait comme un païen, pour un désaccord entre lui et un autre chasseur. Il s’agissait de savoir si les phoques nagent d’instinct, dès leur naissance.

Son contradicteur, un certain Latimer, un Yankee efflanqué, aux petits yeux rusés, affirmait que si les mères phoques ne mettent jamais bas qu’à terre, c’est précisément parce que leurs petits mourraient noyés. Les mères doivent leur enseigner à nager, comme les oiseaux apprennent le vol à leurs couvées.

Les quatre autres chasseurs, accoudés sur la

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