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Jack London

effroi sans cesse renouvelé, s’y refléter mon visage blême et fantomatique.

Les convives ne pouvaient pas ne pas voir, eux aussi, la douleur que j’endurais. Mais pas un ne parut y prendre garde et personne n’eut, à mon adresse, le moindre mot de compassion.

Si bien qu’une heure après, comme j’étais à la cuisine en train de laver les assiettes, je fus presque reconnaissant à Loup Larsen, qui entra pour me dire :

— Hump, ne vous tracassez pas pour si peu… Vous guérirez avec le temps. Et même si vous restez un peu infirme, vous aurez au moins appris à marcher.

Il se tut et reprit, au bout d’une seconde :

— C’est là, je crois, ce que vous appelleriez un paradoxe, non ?

Je fis, de la tête, un signe affirmatif et ajoutai le fatidique :

— Oui, capitaine.

Il en parut enchanté et ajouta :

— Vous vous y connaissez, question littérature, n’est-ce pas ? Allons, tant mieux. Ça me permettra, parfois, de bavarder un peu avec vous.

Cela dit, il me tourna le dos et remonta sur le pont.

Le soir venu, lorsque j’en eus fini avec mon interminable tâche, on m’envoya coucher dans le poste d’arrière, en compagnie des chasseurs de phoques. Une couchette m’y avait été réservée.

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