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Le Loup des mers

la théière dès que le cuisinier l’eut à nouveau remplie et, clopin-clopant, je la portai de la cuisine au carré, sans autre accident.

De ma mésaventure, je conservai deux souvenirs désagréables : une rotule endommagée, qui ne fut pas soignée et dont je souffris pendant plusieurs mois, et le sobriquet de « Hump[1] » que Loup Larsen m’avait lancé de la poupe.

De ce jour, à l’avant comme à l’arrière, je ne fus plus connu que sous ce nom, qui devint partie intégrante de ma personne. Je m’identifiai moi-même à lui et me pris réellement pour Hump, comme si je n’avais jamais cessé de l’être.

Ce n’était pas une besogne facile que de servir proprement la table où étaient assis Loup Larsen, Johansen et les six chasseurs de phoques.

La pièce était étroite et les soubresauts du navire rendaient plus malaisé encore de circuler autour de cette table, comme j’y étais contraint.

Mais ce qui surtout me démontait, c’était l’absence totale de sympathie des gens que je servais. Sous mes vêtements trempés, je sentais mon genou s’enfler toujours davantage et ma souffrance était si lancinante que j’étais, à chaque instant, sur le point de m’évanouir. Je jetais un regard sur une glace accrochée au mur, chaque fois que je passais devant, et je voyais, avec un

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  1. Diminutif de Humphrey, prénom du personnage, signifie également « bosse ». D’où le calembour : « Le tordu. »