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Le Loup des mers

tiraient les cordages, grimpaient dans les mâts. Il y avait là, pour moi terrien, une étonnante confusion, alors qu’en réalité tous ces mouvements étaient admirablement réglés.

Ce qui me suffoquait par-dessus tout, c’était l’indifférence totale pour le mort qui venait d’être expédié dans le néant. Ce n’était déjà plus qu’un épisode du passé, un incident négligeable, qui n’entravait en rien ni la manœuvre, ni la marche du bateau.

Personne, sauf moi, n’avait été sérieusement ému. Les matelots se démenaient, tandis qu’en écoutant une bonne plaisanterie de Smoke, les chasseurs de phoques s’esclaffaient de nouveau. Loup Larsen observait le ciel, chargé de nuages, et le vent. Cependant que le mort, immergé après ce simulacre de cérémonie, descendait plus bas, toujours plus bas…

Je fus épouvanté de toute cette cruauté ambiante, inexorable, de la mer et des hommes. L’être humain n’était plus, au milieu d’elle, qu’une fermentation, dénuée d’âme, de la vase et du limon.

Je restais cramponné à la lisse, contre un cordage, et, par-dessus l’étendue désolée des vagues écumantes, je cherchais au loin, du regard, les bancs de brume qui, tout à l’heure encore, me cachaient San Francisco et les côtes de Californie.

Je les avais perdus de vue. Entre eux et moi s’abattaient d’incessantes averses.

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