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Jack London

nua-t-il. C’est votre père, sans doute. Ce sont les jambes d’un mort qui vous supportent. Et vous ne possédez rien qui vous appartienne en propre. Livré à vous-même, entre deux couchers de soleil, vous seriez incapable de gagner de quoi bouffer pour la journée. Montrez-moi votre main !

Il répondit à une irrésistible poussée de la force qui sommeillait en lui. Car, avant même que je me sois rendu compte de ce qui se passait, il avait foncé sur moi, m’avait saisi la main et la soulevait pour l’examiner. Je tentai de la dégager. Mais, sans aucun effort, il resserra ses doigts, si puissamment, que je crus qu’il allait écraser les miens.

En pareille occurrence, sauvegarder sa dignité n’est pas aisé. Je ne pouvais que me tortiller et me débattre. Je pouvais encore moins engager la lutte avec un tel être qui, d’une simple torsion, était susceptible de me briser le bras.

La seule chose que j’avais à faire était, évidemment, de me tenir tranquille et d’accepter cet affront.

Je remarquai que les poches du mort avaient été vidées de leur contenu sur le pont. Le cadavre disparaissait peu à peu, avec son ricanement diabolique, dans une enveloppe de toile à voile, que tendait et cousait sur lui Johansen, avec du gros fil bis.

Loup Larsen me lâcha la main, avec un geste de dédain.

— D’autres avant vous ont travaillé pour vous,

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