Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
Jack London

douté qu’ils pussent exister. Et pourtant, en ma qualité d’écrivain, j’avais souvent usé de métaphores. J’en avais cherché et inventé, qui m’avaient paru salées. Mais ce n’était rien à côté de ce qu’il m’était donné d’entendre.

Autant que je pus le comprendre, Loup Larsen était furieux parce que l’homme, qui était son second, s’était flanqué, à San Francisco, avant d’embarquer, une telle cuite, qu’il en était mort. Or on était à présent en pleine mer et le remplacer était impossible.

Tous ceux qui me connaissent comprendront à quel point j’étais révolté. Les grossièretés de langage m’ont toujours répugné et, rien qu’à entendre ce que dégoisait Loup Larsen, j’étais malade. Élevé dans le respect de la mort, je l’avais toujours vue entourée d’un pieux et touchant cérémonial. J’ignorais ce qu’était la mort ignoble et dégoûtante.

Le torrent brûlant d’injures, que la bouche de Loup Larsen vomissait sur ce cadavre, aurait dû suffire, semblait-il, à en dessécher la face. Je n’aurais pas été autrement étonné de voir la barbe noire se tortiller, comme des copeaux au souffle d’un brasier et prendre feu.

Mais le mort restait impassible devant l’insulte. Il continuait à ricaner d’un air cynique et, pour la première fois sans doute, bravait la fureur du maître, déchaîné contre lui.

28