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JACK LONDON

bondissions, je doutais fort qu’il y ait encore un seul canot à flot. Il me semblait impossible que de si frêles esquifs soient capables de tenir contre un tel déchaînement de l’eau et du vent.

De mon perchoir, où j’étais comme isolé du reste du navire, je voyais la silhouette du Fantôme se dessiner nettement sur la mer écumeuse, qu’il fendait comme un monstre vivant. Parfois, la goélette se soulevait tout entière, en fonçant sur une lame énorme qu’elle séparait en deux. Son étrave disparaissait dans l’eau bouillonnante, qui passait par-dessus la lisse et couvrait le pont de son écume, inondant les écoutilles hermétiquement fermées.

En de pareils moments, j’étais balancé dans le vide à une vitesse vertigineuse. J’avais l’impression d’être accroché à l’extrémité d’un gigantesque pendule renversé, dont le va-et-vient décrivait un arc fantastique.

Au cours d’une de ces oscillations, plus forte que les autres, un étourdissement s’empara de moi, la terreur me prit et je ne pensai plus qu’à me cramponner des pieds et des mains ; j’observai au-dessous de moi la mer qui bondissait et rugissait, en menaçant d’engloutir le Fantôme. Quand j’eus rétabli mon équilibre, je songeai de nouveau aux hommes qui se débattaient dans cette tempête, et je ne songeai plus à moi pour les chercher des yeux et ne plus penser qu’à eux.

Une heure encore s’écoula, sans que rien n’apparût

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