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JACK LONDON

d’une hauteur de vingt-cinq mètres, un épissoir d’acier sur la tête de Loup Larsen, qui émergeait de l’escalier de sa cabine.

C’était un coup difficile à réussir sur un bateau en mouvement. Mais il s’en fallut de presque rien que la pointe aiguë, sifflant dans l’air, n’atteigne son but. Elle alla, sous le nez de Loup Larsen, se planter dans le plancher du pont.

Une autre fois encore, Leach parvint à s’emparer d’un revolver. Il se préparait à le décharger sur Loup Larsen, lorsqu’un des chasseurs de phoques lui saisit le bras, au passage, et le désarma.

Je me demandais souvent pourquoi Loup Larsen ne le tuait pas, pour en finir. Mais il se contentait de rire de cette rage stérile et se complaisait à le braver, avec cette même satisfaction qu’éprouve le dompteur à affronter ses pensionnaires les plus féroces.

— L’homme est joueur par nature, m’expliqua-t-il. Et le plus bel enjeu qu’il puisse risquer n’est-il pas sa vie ? Pire est le risque, meilleur est le frisson. Pourquoi me priverais-je du plaisir d’exciter Leach jusqu’à la folie ?

« Bien mieux. S’il est honnête, il doit m’en savoir gré. Car la sensation est réciproque. Il vibre plus intensément qu’il n’avait jamais fait. Je lui ai donné un but, qu’il poursuit avec acharnement : me tuer. Il vit de cet espoir, ça le grise et quand je le vois au paroxysme de la fureur, je me prends à l’envier.

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