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LE LOUP DES MERS

qui me permettra de me donner un jour plus de bien-être, de me payer une bonne rigolade, quand il me plaira, et de tirer ma flemme à mon gré, pendant que de moins malins que moi continueront à trimer.

« Voilà quel a été mon but. Puis, aussi, il m’est agréable de réaliser ce que j’ai conçu.

— La joie créatrice… murmurai-je.

— Je crois que ça s’appelle comme ça. La joie des vivants sur les morts, l’orgueil du ferment qui a réalisé quelque chose…

Je levai les bras au ciel, en signe de désespoir devant cette perversité mentale obstinée, et m’occupai de faire le lit.

Loup Larsen, de son côté, se remit à reporter sur la grande feuille ses traits et ses mesures, avec une attention studieuse et une délicatesse de main que je ne pouvais m’empêcher d’admirer, et qui formait un curieux contraste avec sa brutalité coutumière.

Quand j’eus terminé, je levai les yeux vers lui et le regardai avec une sorte d’inconsciente admiration. Cet homme était beau ; enfin, un beau mâle. Et le plus étonnant était la sérénité de son visage. On aurait dit le reflet d’une conscience pure, le miroir d’une âme incapable de la moindre méchanceté.

C’était, en réalité, le signe d’une amoralité complète. La conscience de Loup Larsen était en repos, pour cette excellente raison qu’il n’avait pas de conscience.

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