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LE LOUP DES MERS

Je pensai qu’un profond chagrin le déchirait. Et, comme je me retirais sur la pointe des pieds, je l’entendis grogner : « Dieu ! Dieu ! Oh ! mon Dieu ! » Mais il n’appelait pas Dieu à son secours. C’était une simple et banale exclamation qu’exhalait sa poitrine, un exutoire quelconque à sa douleur.

Au déjeuner, il demanda aux chasseurs de phoques s’ils connaissaient un remède efficace contre les maux de tête. Sa souffrance, qui ne fit qu’empirer était telle, en effet, qu’à la fin de la journée il n’y voyait presque plus clair et, en dépit de sa force, chancelait en marchant sur le pont.

Je le soutins, pour le reconduire à sa cabine.

— Hump, me dit-il, ce mal est étrange… Je n’ai jamais été malade de ma vie. Jamais je n’ai souffert autant de la tête, sauf cette fois où j’ai eu la peau du crâne emportée sur quinze centimètres par une barre de cabestan qui est venue me frapper à l’improviste…

La crise dura trois jours. Loup Larsen était presque aveugle. Il souffrit comme souffrent les bêtes sauvages et comme cela me semble être l’habitude sur les navires pareils au nôtre. C’est-à-dire solitaire, sans se plaindre et sans être plaint.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce matin, lorsque j’entrai dans sa cabine, pour lui faire son lit et savoir s’il n’avait besoin de rien, je le trouvai tout à fait remis. Sa table et sa couchette étaient jonchées de feuillets de papier, portant des chiffres et des graphiques. La boussole et

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