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LE LOUP DES MERS

d’un vivisecteur, curieux de suivre leurs processus mentaux ; il dissèque leurs âmes, afin de savoir de quoi est faite l’âme humaine. Maintes fois je l’ai vu, à table, insulter l’un ou l’autre de ces hommes, de propos délibéré, en braquant sur eux son regard. Il se plaisait à faire éclater leurs petites rages, avec une curiosité intéressée, risible pour moi, spectateur avisé.

Quant à ses colères, je suis persuadé qu’elles sont feintes et qu’il ne perd jamais la maîtrise de soi. Mais tantôt il se divertit à en étudier l’effet, et tantôt elles sont chez lui une sorte de pose, le résultat d’une attitude qu’il juge bon de prendre devant ses subordonnés.

Jamais je ne l’ai vu réellement en rage, sauf le jour où mourut son second. Alors il était hors de lui, toute sa force redoutable entrait en jeu, et je ne souhaite pas de le revoir dans cet état.

Quant à ses lubies, je vais vous en donner un exemple, où ce fut Thomas Mugridge qui écopa.

Le déjeuner de midi était achevé et le coq était venu, comme il en avait pris l’habitude, rejoindre Loup Larsen, qui lui demanda :

— Tu sais jouer au Nap ?… Parfait ! Nous allons faire une partie. Je me doutais bien qu’en tant qu’Anglais tu connaissais ce jeu. C’est sur des bateaux anglais que je l’ai appris.

Thomas Mugridge était, je l’ai dit, un parfait imbécile. Tout fier de l’amitié que lui témoignait le capitaine, il affectait de petits airs grotesques, et

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