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rôle terrible dans les luttes que j’allais entreprendre contre John Barleycorn.

Ce qui précipita ma décision de fuir, c’est un tour qu’il me joua — un tour monstrueux, incroyable, qui montre bien le degré d’intoxication que j’avais déjà atteint.

Une nuit, vers une heure, après une prodigieuse beuverie, j’essayais de me hisser à bord d’une chaloupe, à l’extrémité du quai ; je cherchais un coin pour dormir. Les marées se précipitaient dans le détroit de Carquinez comme l’eau dans un moulin, et le reflux battait son plein lorsque je tombai dans le bouillon. Il n’y avait personne sur le quai, personne sur la chaloupe. Je fus tout de suite emporté très loin par le courant, mais je n’éprouvais pas la moindre peur. Au contraire, je trouvais l’aventure délicieuse. J’étais bon nageur et, dans mon état de surexcitation, le contact de l’eau me calma comme du linge frais.

John Barleycorn choisit ce moment pour me jouer sa farce diabolique. Je fus obsédé par une soudaine lubie de m’en aller avec la marée. Je n’étais pas d’un tempérament morbide, et jamais la pensée du suicide n’avait pénétré dans mon esprit. Maintenant qu’elle s’y insinuait, je songeais que ce serait l’apothéose glorieuse, la splendide apogée d’une carrière courte, mais agitée. J’ignorais tout de l’amour d’une vierge, d’une épouse, ou de l’affection des enfants ; je ne m’étais jamais ébattu dans les vastes jardins des délices artistiques, ni élevé aux sommets étoiles de la froide philosophie ; mes yeux ne connaissaient du monde superbe qu’une surface infinitésimale comme la pointe d’une aiguille. Je