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plus de nausées qu’aucun médicament. Maintenant encore, la saveur m’en déplaisait : je ne le buvais que pour son action stimulante, effet dont je ne me souciais guère entre cinq et vingt-cinq ans.

Il m’avait donc fallu vingt ans d’un apprentissage à contre-cœur pour imposer à mon organisme une tolérance rebelle et ressentir au tréfonds de moi-même le désir de l’alcool.

Je dépeignis mes premiers contacts avec lui, j’avouai mes premières ivresses et mes révoltes, en insistant sur la seule chose qui, en fin de compte, avait eu raison de moi : la facilité de se procurer ce poison. Non seulement il m’avait toujours été accessible, mais toutes les préoccupations de ma jeunesse m’avaient attiré vers lui. Crieur de journaux dans les rues, matelot, mineur, vagabond des terres lointaines, j’ai constaté que partout où les hommes s’assemblent pour échanger des idées, des rires, des vantardises et des provocations, ou pour se délasser et oublier le labeur monotone de journées ou de nuits épuisantes, ils se retrouvaient invariablement devant un verre d’alcool. Le bar est un lieu de réunion où ils se rassemblent comme les hommes primitifs autour du feu de campement ou à l’entrée de la caverne.

Je rappelai à Charmian les hangars à pirogues qu’elle n’avait pu visiter dans les îles méridionales du Pacifique : les cannibales à cheveux crépus venaient festoyer et boire entre eux, loin de leurs femmes, à qui l’entrée du lieu saint était interdite sous peine de mort. Dans ma jeunesse, c’est grâce au bar que j’avais échappé à l’influence mesquine des femmes pour pénétrer