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après, devenu plus tolérant, je l’avais accepté sans enthousiasme, comme un phénomène social inévitable.

— Explique-moi donc pourquoi tu as voté pour ? insista Charmian.

Je lui répondis ; je lui répondis en détail, sans cacher mon indignation. Plus je parlais, plus je m’indignais. (Non, je n’étais pas ivre. La jument que je venais de monter portait le nom justifié de « Hors-la-Loi », et je voudrais bien voir un pochard capable de la chevaucher.)

Cependant — comment m’exprimer ? — je me sentais « bien », j’étais allumé, agréablement éméché.

— Quand les femmes iront à l’urne, elles voteront pour la prohibition, dis-je. Ce sont les épouses, les sœurs, les mères, et elles seulement, qui cloueront le cercueil de John Barleycorn[1]

— Je te croyais son ami, interrompit Charmian.

— Oh ! je le suis, je l’étais. C’est-à-dire, non. Je ne le suis jamais. Jamais je n’éprouve moins d’amitié pour lui que lorsqu’il est en ma compagnie et que j’ai l’air de lui être le plus fidèle. Il est le roi des menteurs et, en même temps, la franchise même. Il est l’auguste compagnon avec qui on se promène en la société des dieux. Mais est aussi de mèche avec la Camarde. Il vous conduit à la vérité toute nue et à la mort. Il produit des visions claires et des rêves immondes. Il est l’ennemi de la vie et le maître d’une

  1. John Barleycorn, littéralement Jean Grain d’Orge, personnification humoristique de l’alcool, particulièrement du whisky, très populaire dans toute l’Amérique du Nord. Les Irlandais l’appellent La Créature (The Créature).