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Je l’idéalisai depuis comme le type du brave nomme. Pendant des années ce personnage hanta mes rêveries. Je n’avais que sept ans à l’époque et je puis encore me le représenter nettement, bien que je n’aie jamais levé les yeux sur lui que ce jour-là.

La taverne était située au sud de Market Street, à San Francisco, du côté ouest de la rue. Le bar se trouvait à gauche en entrant. A droite, contre le mur, le comptoir où l’on pouvait se servir à volonté une « collation à toute heure ». C’était une pièce longue et étroite ; au fond, plus loin que les barils de bière à la pression, on apercevait des petites tables rondes et des chaises. Le tenancier avait des yeux bleus et des cheveux blonds et soyeux qui débordaient d’une casquette de satin noir. Je me rappelle qu’il portait un gilet de laine brun et je sais l’endroit précis, au milieu de cet arsenal de bouteilles, d’où il retira celle qui contenait le sirop rouge. Lui et mon père causèrent longtemps ; pendant ce temps-là, je dégustais mon délicieux breuvage tout en vénérant l’homme. Et pendant des années, j’ai respecté sa mémoire. Malgré mes deux mésaventures, je me retrouvais ici avec John Barleycorn. Il y régnait en maître, comme partout ailleurs, et montrait à tous une mine accueillante. Il essayait de m’attirer moi aussi. La buvette, avec tout ce qui s’y rapportait, laissait des traces profondes dans mon esprit juvénile. L’enfant que j’étais formait ses premiers jugements sur le monde, et le cabaret lui paraissait un lieu exquis. Ni les magasins, ni les édifices publics, ni aucune des demeures humaines ne s’étaient jamais ouverts devant moi,