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immortel. On peut s’étonner qu’un pareil lourdaud enfourche le temps et chevauche l’éternité.

— Quoi ? rétorque la raison pure. Tu voudrais peut-être fermer les livres et changer de place avec cet être qui n’est qu’appétit et désir, marionnette du ventre et des reins ?

Je m’obstine :

— Être stupide, c’est être heureux.

— Ton idéal de bonheur est donc celui d’un organisme gélatineux flottant dans une mer tiède et crépusculaire, hein ?

Mais les victimes de John Barleycorn ne peuvent guère s’opposer à lui !

— Il n’y a qu’un pas de là à la béatitude de l’annihilation dans le Nirvana bouddhiste, ajoute la raison pure. Allons, nous voici à la maison. Prends un verre pour te remonter le moral. Toi et moi, les illuminés, nous connaissons toute la folie de cette vaste farce.

Et dans ma tanière murée de livres, mausolée de la pensée humaine, je bois, et je bois encore ; je déloge les chiens endormis dans les coins de ma cervelle ; je les invite à franchir les murs des préjugés et des lois pour galoper à travers les astucieux labyrinthes des croyances et des superstitions.

— Bois ! me dit la raison pure. Les Grecs croyaient que les dieux leur avaient donné le vin pour leur permettre d’oublier la misère de l’existence. Souviens-toi aussi de ce qu’a dit Heine.

Je me rappelle bien les paroles de ce Juif ardent : « Avec le dernier soupir, tout est fini : la joie, l’amour, la tristesse, le macaroni, le théâtre, les tilleuls, les bonbons à la framboise,