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pouces que je possédais dans ma jeunesse ; les assauts et les luttes les ont abîmés irréparablement : l’un a été démoli à tout jamais par un coup de poing assené sur la tête d’un homme dont j’ai oublié même le nom ; j’ai détérioré l’autre dans une fausse prise de catch-as-catch can. Mon coffre de coureur est enfoui dans les limbes du souvenir. Les jointures de mes jambes ont perdu leur élasticité et leur endurance éprouvée par tant de journées de labeur et de nuits de folie. Jamais plus je ne pourrai me balancer éperdument, suspendu à un cordage dans l’obscurité de la tempête. Jamais plus je ne courrai côte à côte avec les chiens de traîneau sur les pistes interminables des régions arctiques.

Je sais parfaitement que dans ce corps en voie de désintégration et qui a commencé à mourir dès l’instant de ma naissance, je transporte un squelette ; sous cette couche de chair que je nomme mon visage, il y a une tête de mort, osseuse et sans nez. Tout cela ne me fait pas frissonner. Avoir peur, c’est être sain. La crainte de la mort tend à la vie. Mais la malédiction de la raison pure, c’est qu’elle ne vous effraie pas. Le dégoût du monde qu’elle provoque vous fait faire des grimaces de clown face à la Camarde et ricaner devant toute la fantasmagorie de la vie.

Sans arrêter mon cheval, je jette les yeux autour de moi, et de tous côtés j’aperçois le gaspillage infini de la sélection naturelle. La raison pure insiste pour ouvrir devant moi des livres depuis longtemps fermés, et, paragraphe par paragraphe, chapitre par chapitre, traduit en termes de futilité et de cendre ce panorama de beauté et de merveilles. Dans les bourdonnements