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possible. J’ai une compagne que j’aime, des enfants qui sont la chair de ma chair. Je remplis, maintenant comme toujours, le devoir d’un bon citoyen du monde. J’ai construit des maisons, beaucoup de maisons, et défriché plusieurs centaines d arpents. Quant aux arbres, n’en ai-je pas planté cent mille ? Partout, de n’importe quelle fenêtre de ma maison, je peux promener mon regard sur ces arbres, qui se dressent vers le soleil. Je suis né vraiment sous une bonne étoile. Pas un homme sur mille n’a eu autant de chance que moi. Eh bien, malgré tout, je suis triste, infiniment triste parce que John Barleycorn me tient compagnie. Que voulez-vous ? Je suis né à une époque précédant celle d’une civilisation rationnelle et que les siècles futurs qualifieront de ténébreuse.

John Barleycorn ne me quitte plus, parce qu’aux jours stupides de ma jeunesse il s’accrochait à mes pas. Il m’appelait et m’invitait à chaque coin de rue. La prétendue civilisation où je vis permet que s’établissent partout des boutiques patentées pour la vente du poison de l’âme. Les mœurs sont telles que des millions d’individus séduits comme moi s’y laissent conduire.

Pénétrons ensemble un de ces tristes états d’âme parmi les milliers d’autres où vous plonge John Barleycorn. Me voilà parti faire une promenade à cheval à travers mes terres. Ma bête est superbe. L’air m’enivre. Sur une vingtaine de collines onduleuses, le raisin s’empourpre des flammes d’automne. Des écharpes de brouillard marin glissent le long de la montagne de Sono-ma. Le soleil de l’après-midi brasille dans le ciel assoupi. La création entière s’est concertée pour