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L’alcool renferme des intuitions fatales de vérité. Philippe, dans toute sa lucidité, se porte garant de Philippe ivre. Il y a, semble-t-il, en ce monde, plusieurs genres de vérités, les unes plus véridiques que d’autres, et certaines mensongères. C’est précisément celles-ci qui rehaussent la vie pour ceux qui désirent en jouir. Tu vois, ô lecteur casanier, quel royaume lunatique et impie je tente de te dépeindre dans la langue des disciples de John Barleycorn. Ce n’est point là le langage de ta tribu, dont tous les membres s’écartent résolument des chemins qui conduisent à la mort, pour suivre exclusivement ceux qui les mènent à la vie. Car il y a routes et routes, et la vérité se subdivise en nombreuses catégories. Mais prends patience. Peut-être à travers ces apparentes divagations, percevras-tu, au bout de lointaines perspectives, quelques échappées sur d’autres pays, sur des tribus différentes.

L’alcool laisse entrevoir la vérité, mais une vérité anormale. Les choses normales sont saines — et ce qui est sain tend vers la vie. La vérité normale appartient à un ordre différent — et inférieur. Prenez, par exemple, un cheval de trait. À travers toutes les vicissitudes de sa carrière, et bien que sa pensée soit confuse et incompréhensible pour nous, il lui faut croire, à tout prendre, que la vie est bonne ; que de tirer dans les harnais est une excellente chose ; que la mort, si vaguement qu’il la pressente, est un géant redoutable ; que la vie est douce et vaut la peine d’être vécue ; et, qu’en fin de compte, quand la sienne arrivera à son déclin, il ne sera pas bousculé, ni maltraité, ni pressé au-delà de la limite de ses efforts. Il doit croire que la