Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/262

Cette page n’a pas encore été corrigée

Comment décrire la raison pure à ceux qui ne la connaissent pas ? Mieux vaut affirmer tout de suite combien la tâche est ardue. Prenons pour exemple le pays du haschich — ce pays où s’étendent à perte de vue le temps et l’espace. Autrefois, j’ai accompli deux mémorables randonnées dans cette terre lointaine, et mes aventures restent gravées dans mon cerveau jusqu’au moindre détail. N’empêche que je me suis dépensé en pure perte à vouloir en expliquer les péripéties à ceux qui n’y sont pas allés. J’employais les métaphores les plus subtiles pour leur suggérer combien de siècles et d’abîmes indicibles de souffrance et d’horreur peuvent exister dans le plus court des intervalles entre les notes d’une gigue jouée à toute allure au piano. Je parlais une heure entière, en m’efforçant de dépeindre cette phase unique du rêve de haschich, pour m’apercevoir, en fin de compte, que j’aurais mieux fait de me taire. Parce que je n’avais pas réussi à leur faire entrevoir cette simple chose dans une immensité d’illusions merveilleuses et terribles, je me suis reconnu incapable de leur donner la moindre idée de ce royaume du haschich.

Mais qu’il m’arrive d’en parler avec un explorateur quelconque de cette région bizarre, et me voilà compris à l’instant même. Un mot, une image suffisent.

Il en est de même dans le royaume de John Barleycorn, où règne la raison pure. À ceux qui n’ont jamais parcouru ces régions, le récit du pèlerin restera éternellement obscur et fantastique. Je les prie donc encore, faute de mieux, d’essayer de croire ce que je vais leur décrire.