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cerveau, relâché aussitôt, débitait les mille mots d’une seule traite.

J’épuisai les provisions de liqueurs de ma maison d’Oakland avec la ferme résolution de ne pas en acheter d’autres. Malheureusement il restait au fond du placard à liqueurs un petit fût de bière. Ce fut en vain que j’essayai d’écrire. Or la bière remplace avantageusement les alcools forts et, de plus, je ne l’aimais pas ; pourtant, cette bière à ma portée hantait mon esprit. Lorsque j’en eus absorbé une pinte, mais seulement alors, les mots se mirent à couler au bout de ma plume. J’achevai ce jour-là mes mille mots au prix de nombreuses chopes. Le pis est que la bière me causait de sérieuses nausées ; malgré cela, j’arrivai au bout du tonneau.

Ma cave étant vide, je ne songeai pas à la regarnir. Avec une persévérance vraiment héroïque, je me contraignis enfin à pondre ma copie sans le coup d’éperon de John Barleycorn. Mais l’envie de boire ne me lâchait pas une seconde. Aussitôt ma besogne matinale terminée, je me précipitais dehors et descendais en ville pour prendre mon premier verre. Dieu de Dieu l Si John Barleycorn pouvait me tenir ainsi à sa merci — moi qui n étais pas alcoolique, je le répète encore — que dire des souffrances endurées par le véritable ivrogne, qui se débat seul contre les exigences de son organisme. Nul ne plaint cette victime : on la comprend moins encore, et ses plus proches amis le méprisent et se moquent de lui.