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D’une part, j’étais si peu disposé à boire qu’un seul cocktail me faisait de l’effet. Cela m’allumait l’esprit et provoquait en moi quelques minutes de gaieté comme préface aux plaisirs de la table. D’autre part, j’avais un estomac blindé, et cet unique cocktail ne me procurait qu’un léger chatouillement et une éphémère lueur de joie.

Un jour un ami me proposa carrément et sans la moindre vergogne un deuxième cocktail. Je trinquai avec lui. La lueur fut sensiblement plus durable, le rire plus profond et plus sonore. On n’oublie pas de pareilles expériences. Je suis parfois tenté de croire que je me suis mis à boire pour de bon parce que j’étais véritablement très heureux.

Un autre jour, ma femme, Charmian, et moi entreprîmes une longue promenade à cheval dans les montagnes. Nous avions donné congé aux domestiques pour toute la journée. À notre retour, à une heure déjà avancée de la nuit, nous nous mîmes joyeusement à préparer nous-mêmes notre dîner sur le réchaud. Nous étions seuls dans la cuisine, et la vie nous semblait belle à tous deux. J’étais pour ma part au comble du bonheur, et faisais fi des livres et de la vérité absolue. Mon corps, magnifique de santé, était recru d’une saine fatigue. Après une journée superbe, dans cette nuit splendide, je me trouvais en compagnie de la femme que j’aimais, et nous faisions la dînette dans un joyeux abandon. Débarrassé de tout souci, je n’avais plus de notes à payer ; l’argent affluait à la maison, et l’avenir s’élargissait devant moi. Et dans cette cuisine, des aliments délicieux mijotaient sur le