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serait le plus costaud, qui ferait preuve de plus de vitalité, qui aurait le plus de coffre et de tête, et en un mot celui qui pourrait approcher le plus du pourceau sans se trahir. Ces mal léchés prétendaient me soûler !

C’était, vous le voyez, une épreuve d’endurance, où il est humiliant de s’avouer vaincu. On m’offrit de la bière à la pression. Pouah ! Depuis des années je n’en avais pas bu — je connaissais, à présent, des marques beaucoup plus chères — mais à cette époque je m’étais mesuré avec des hommes, aussi me sentais-je capable d’en remontrer à n’importe lequel de ces minables.

La beuverie commença. Il me fallut trinquer avec les meilleurs d’entre eux. À la rigueur, les autres pouvaient caler, mais l’invité d’honneur devait jusqu’au bout se montrer à la hauteur.

Toutes mes nuits austères d’étude, tous les livres que j’avais dévorés, toute la sagesse que j’avais acquise, disparurent devant les monstres avides de se surpasser dans l’ignominie, devant le pourceau, le singe et le tigre surgis en moi des profondeurs du gouffre où croupissait un atavisme envieux et brutal.

La séance terminée, je gardais encore mon équilibre, je marchais droit devant moi, sans tituber — ce dont peu de convives auraient pu se vanter. Je revois, au coin de la rue, un gaillard qui pleurait d’indignation en faisant remarquer aux autres l’assurance de ma démarche. Il était loin de se douter que grâce à une volonté de fer, fruit d’un long entraînement, je gardais le contrôle de ma lucidité à travers les fumées de l’ivresse, commandais à mes muscles, retenais