Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée

Avec cette certitude de l’impunité garantie par une longue habitude de boire, il m’arriva d’ailleurs, au hasard de mes rencontres à travers le monde, de prendre part avec orgueil à des beuveries prolongées. Si étrange que puisse paraître cette vanité qui pousse les hommes à boire afin de montrer qu’ils savent mieux tenir le coup que les autres, elle n’en est pas moins un fait irréfragable, et je vais en donner un exemple.

Je fus invité par une bande de jeunes et farouches révolutionnaires à présider une réunion qu’ils tenaient dans un café, où la bière devait couler à flots. C’était la première fois que j’allais assister à pareille affaire, et j’étais loin d’en discerner les dessous. Je m’attendais à de fougueux discours sur des sujets élevés ; sans doute quelques-uns boiraient déraisonnablement, mais moi je me promis de ne pas dépasser la mesure. Jamais je n’aurais imaginé que ces gaillards pleins de vie cherchaient dans ces débauches une diversion à la monotonie de l’existence en ridiculisant des gens plus sérieux qu’eux. Quelqu’un me confia plus tard qu’à la dernière réunion ils avaient complètement grisé l’invité d’honneur, un jeune et ardent radical[1], inexpérimenté dans l’art de boire.

Dès que je me trouvai au milieu d’eux je compris ce qu’on voulait, et en moi s’éleva cet étrange sentiment d’amour-propre. Je leur ferais voir, à ces jeunes voyous. Ils verraient bien qui

  1. Le terme radical possède en américain un sens beaucoup plus avancé qu’en français ; il est presque synonyme de révolutionnaire.