Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée

soûler presque tout le temps. Je me souviens encore de magnifiques orgies individuelles à l’intérieur de la prison de Buffalo, et comment, après notre libération, nous déambulâmes dans la grande rue en mendiant des gros sous qui nous servirent à nous payer une nouvelle cuite.

Je n’éprouvais aucun penchant spécial pour l’alcool, mais quand je me trouvais en compagnie de buveurs, je les imitais. Je préférais cheminer ou lézarder avec les hommes les plus

vivants et les plus fins, et c’est justement ceux-là qui buvaient le plus. Je rencontrais en eux plus de camaraderie, de courage et de personnalité.

Peut-être est-ce par un excès de tempérament qu’ils cherchaient à oublier les platitudes et les banalités de l’existence dans les certitudes chimériques de John Barleycorn ? Quoi qu’il en soit, les hommes que je préférais, dont je recherchais la société, je les trouvais invariablement auprès de John Barleycorn.

Au cours de mes vagabondages à travers les États-Unis, il me fut donné de comprendre la vie sous un nouvel aspect. En tant que nomade, j’étais relégué dans les coulisses de la société, parfois même dans ses dessous les plus profonds. De là, je pouvais observer le fonctionnement de son mécanisme. En voyant tourner les roues de la machine sociale, j’appris que la dignité du travail manuel ne ressemblait en rien à celle que m’avaient dépeinte les professeurs, les prédicateurs et les politiciens. Les hommes sans métier n’étaient que du bétail désemparé. Le spécialiste, pour vivre de son travail, était tenu d’appartenir à un syndicat. Le syndicat ouvrier devait mener grand bruit et menacer les syndicats patronaux