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fille. Je crois sincèrement qu’il se contentait d’observer, parce que Haydée n’était pas son genre.

Durant cette inoubliable demi-heure, nous n’échangeâmes pas une parole. Cependant, tour à tour, chacun de nous risquait un coup d’œil, que l’autre esquivait avec une égale timidité, et à maintes reprises nos regards se croisèrent.

Elle avait un fin visage ovale, de beaux yeux bruns, un amour de petit nez, et la douceur de sa bouche se relevait d’un soupçon de pétulance. Elle portait un béret de laine écossais, et je n’avais jamais vu des cheveux bruns d’aussi jolie nuance. Cette unique aventure d’une demi-heure me convainquit à jamais de la réalité du coup de foudre.

Trop tôt, à mon gré, Haydée et sa tante quittèrent la salle. (Il est cependant légitime d’en faire autant à n’importe quelle réunion de l’Armée du Salut.) Après leur départ, ne trouvant plus aucun intérêt à la séance, j’attendis à peine les deux minutes de convenance pour filer avec Louis.

Comme nous passions au fond de la salle, une femme me fit des yeux un signe de reconnaissance, se leva et me suivit. Je n’entreprendrai pas de la dépeindre. Elle appartenait à mon espèce, et était une amie aux vieux jours du port d’Oakland. Lorsque Nelson fut tué d’un coup de feu, elle l’avait pris dans ses bras, et il y avait rendu l’âme. Elle me savait son camarade et voulait me conter ses derniers moments, que j’étais non moins empressé de connaître. En compagnie de cette femme, je franchis le gouffre qui, de mon ancienne vie sauvage et cruelle,