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spéciaux ; une portion, pour deux, revenait seulement à vingt cents.

Cette pénurie perpétuelle me laissait assez indifférent ; je conservais pour l’argent le même dédain qu’aux jours des pilleurs d’huîtres. Je n’avais pas la vanité d’en tirer une satisfaction personnelle, et ma philosophie, comblant le vide, me permettait de me retrouver au même point avec dix cents en moins, que lorsque je gaspillais des vingtaines de dollars en invitant tous les camarades et piliers de bars à trinquer avec moi.

Mais comment me procurer une petite amie ? Louis ne pouvait me conduire dans aucune famille où il m’aurait présenté. Je n’en connaissais point non plus. Il tenait, de plus, à garder pour lui le petit harem qu’il s’était constitué, et je ne devais pas m’attendre, décemment, à ce qu’il me passât l’une de ses femmes. Il leur persuada bien d’amener des compagnes, qui me semblèrent pâles et dénuées d’attraits, comparées aux morceaux de choix qu’il se réservait.

— Faudra faire comme moi, mon pauvre vieux, me dit-il enfin. J’ai dû les dégoter moi-même. Arrange-toi pour en dénicher de la même manière.

Il devint mon initiateur. Qu’on ne perde pas de vue notre situation précaire à tous deux. Nous accomplissions des prodiges pour payer notre pension et nous vêtir décemment. Nous nous retrouvions le soir, après notre travail, au coin de la rue, ou bien à une petite confiserie située dans une ruelle — le seul endroit que nous fréquentions. Là nous achetions des cigarettes et, parfois, pour un ou deux cents de sucre d’orge. (C’est exact : Louis et moi ne rougissions