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canaques appartenant à nos propres bateaux, avec un jeune matelot danois frais émoulu de l’Argentine, où il avait été cow-boy, qui avait un penchant prononcé pour les mœurs et cérémonies indigènes. Suivant la plus stricte étiquette japonaise, nous buvions du saki pâle, doux et tiède, dans de minuscules bols en porcelaine.

Je revois encore des mousses déserteurs —garçons de dix-huit à vingt ans, issus de familles anglaises de classe moyenne — qui avaient plaqué leurs bateaux et leur apprentissage de marin dans divers ports et s’étaient réfugiés aux gaillards d’avant des goélettes pour la pêche au phoque.

C’étaient, comme moi, de vigoureux adolescents, à la peau fine, aux yeux clairs, qui faisaient leurs premiers pas dans le monde des hommes. Et c’étaient des hommes ! Il leur fallait, non pas du saki douceâtre, mais des bouteilles carrées, remplies, en contrebande, d’alcool corrosif qui brûle dans les veines et flambe dans les cerveaux. J’entends encore leur chanson sentimentale, dont voici le refrain :




Passe à ton doigt ce mince anneau.
C’est de l’or ; je t’en fais cadeau.
Quand tu seras sur l’onde amère,
Il te rappellera ta mère !


Leurs mères ! Ils leur avaient brisé le cceui, ces jeunes sacripants, et pourtant ils pleuraient en chantant. Je les accompagnais et mêlais mes larmes aux leurs, je me délectais dans le pathos