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on se mettait à chanter, à faire les cent dix-neuf coups. Bientôt les lubies commençaient à grouiller dans ma cervelle. Alors, tout me paraissait grand et merveilleux. J’étais l’un de ces écumeurs de mer, vigoureux et endurcis, assemblés pour se soûler sur une île de corail. Je me remémorais d’anciennes lectures au sujet de chevaliers attablés dans d’immenses salles de festin, rangés par ordre de préséance au-dessous des salières, de Vikings revenus du large et prêts à la bataille. Je savais que l’ancien temps n était pas mort, et que nous appartenions encore à cette vieille race.

Vers le milieu de l’après-midi, Victor, pris d’un accès de délire occasionné par l’ivresse, cherchait noise à tout le monde sous n’importe quel prétexte. Depuis, j’ai vu des forcenés dans les asiles de fous se comporter de la même manière, sauf peut-être qu’il les dépassait en fureur.

Axel et moi, après nous être interposés et avoir été bousculés dans plusieurs mêlées, nous parvînmes enfin, avec d’infinies précautions et ruses d’ivrognes, à attirer notre copain jusqu’au canot et à le ramener à bord.

À peine Victor eut-il posé le pied sur le pont qu’il se mit en tête de le nettoyer. Il possédait la force de plusieurs hommes et attaquait tout le monde indistinctement. Je vois encore le matelot qu’il poussa dans un écubier, sans lui faire aucun mal, d’ailleurs, par suite de son incapacité à l’atteindre. L’homme esquivait ou parait les coups et Victor, à force de frapper, se meurtrit les phalanges des deux poings contre les énormes anneaux de la chaîne d’ancre.