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Victor et Axel proposèrent d’aller boire avant de commencer notre longue promenade. Pouvais-je refuser de trinquer avec ces deux robustes compagnons de bord ? C’était le moyen de sceller notre amitié, la vraie façon de vivre.

Nous nous moquions tous les trois de notre capitaine parce qu’il était tempérant. Je ne me souciais pas le moins du monde de boire, mais je voulais avant tout me montrer joyeux drille et franc camarade. Le triste exemple de Louis ne me détourna pas de faire couler dans ma gorge la drogue mordante et cuisante. John Barleycorn avait, certes, précipité ce personnage dans une terrible déchéance, mais j’étais jeune, moi, mon sang coulait, abondant et rouge dans mes veines ; j’avais une constitution de fer et… après tout, la jeunesse ricane éternellement devant les vieilles épaves.

L’alcool que nous absorbions était étrange et cruel. Où et comment avait-il été fabriqué ? —c’était sans doute quelque décoction indigène. Brûlant comme le feu, pâle comme l’eau, foudroyant comme la mort, il remplissait les bouteilles carrées qui avaient contenu du genièvre hollandais et portaient encore la marque appropriée : « L’Ancre » : et certes, il nous ancra. Nous ne sortîmes plus de la ville. Adieu, la pêche en sampan ! Pendant ces dix jours de permission, jamais nous ne foulâmes le sentier sauvage parmi les falaises de lave et les fleurs.

Nous croisions de vieilles connaissances venues d’autres goélettes, des types rencontrés dans les bars de San Francisco avant notre départ. Chaque fois, il fallait vider un verre ; nous avions tant à nous dire ; la boisson circulait,