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gaillard d’avant, et les hommes racontaient à l’envi leurs plus belles histoires d’ivresse, émouvantes ou comiques. Ils se rappelaient ces bordées avec plus de précision et de plaisir que toutes leurs autres aventures.

Le plus vieux de l’équipage, un gros homme de cinquante ans, appelé Louis, était un capitaine révoqué, victime de John Barleycorn, qui finissait sa carrière au point où il avait débuté. Son histoire m’avait fortement impressionné.

John Barleycorn ne se borne pas à tuer des hommes. Il avait épargné celui-là, ou plutôt il s’était contenté de lui ravir, par un raffinement de cruauté, le prestige de son grade et son bien-être, de crucifier son orgueil, de le condamner, jusqu’à son dernier souffle, aux dures corvées des simples matelots ; et la résistance du bonhomme lui promettait de longues années de misère.

Vers la fin de notre course à travers le Pacifique, nous découvrîmes les sommets volcaniques des îles Bonin, couverts de forêts vierges, puis nous pénétrâmes entre les bancs de corail jusqu’au port abrité de tous côtés, où nous jetâmes l’ancre. Là se trouvaient déjà réunis au moins une vingtaine de bâtiments d’aventuriers comme le nôtre.

Les senteurs d’une végétation tropicale nous arrivaient de terre. Des indigènes, sur d’étranges pirogues munies de balanciers, et des Japonais, sur des sampans plus étranges encore, pagayaient dans la baie et nous abordaient. C’était la première fois que j’accostais en pays étranger. J’étais enfin parvenu à l’autre bout du monde, et j’allais