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Quand je fus bien dégagé, au beau milieu du chenai, je me remis à chanter. Parfois, j’avançais de quelques brasses, mais la plupart du temps je me contentais de flotter et de me laisser aller à de longues rêveries d’ivrogne. Avant l’aube, la froideur de l’eau et l’écoulement des heures m’avaient suffisamment dessoûlé pour éveiller ma curiosité sur l’endroit du détroit où je me trouvais. Je me demandai également si, avant d’avoir gagné la baie de San Pablo, je ne serais pas saisi et ramené par le retour de la marée.

Ensuite, je découvris que j’étais éreinté, transi, redevenu tout à fait lucide, et que je ne désirais pas le moins du monde me noyer.

Je distinguai la Fonderie Selby sur la Contra-Costa et le phare de l’Île de la Jument. Je commençai à nager vers la rive du Solano, mais j’étais affaibli et engourdi par le froid. J’avançais si peu et au prix de si pénibles efforts que j’abandonnai la partie et me contentai de me maintenir à flot ; je faisais de temps à autre une brasse pour conserver mon équilibre, dans les remous de marée qui augmentaient de violence à la surface de l’eau. Et je connus la crainte. J’étais dégrisé à présent. Je ne voulais pas mourir.

Je découvrais des tas de prétextes pour vivre. Et plus ils affluaient à mon esprit, plus j’entrevoyais l’imminence de ma noyade.

Après quatre heures passées dans l’eau, l’aube me surprit en piteux état dans les remous, au large du phare de l’Île de la Jument, où les rapides courants venus des détroits de Vallejo et de Carquinez se donnaient l’assaut ; à cet instant