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prendre le personnage et le sujet de ce livre.

Tout d’abord, sans avoir eu de prédisposition innée pour les spiritueux, je suis devenu un buveur invétéré. Je n’ai pas le cerveau épais et je ne me conduis point en pourceau. Je connais l’art de boire depuis A jusqu’à Z et, dans mes libations, j’ai toujours fait preuve de discernement. Je ne titube pas et je n’ai jamais eu besoin de personne pour me mettre au lit. En un mot, je possède un tempérament moyen et normal ; c’est pourquoi je bois selon une moyenne normale, quand l’occasion s’en présente ; et c’est précisément sur un tempérament de ce genre que je veux décrire les effets de la boisson. Je n’ai absolument rien à dire de ces buveurs excessifs que l’on appelle des dipsomanes, car je n’attache pas la moindre importance à leur manie exceptionnelle.

Il existe, généralement parlant, deux types d’ivrognes : celui que nous connaissons tous, stupide, sans imagination, dont le cerveau est rongé par de faibles lubies ; qui, les jambes hésitantes et très écartées, prodigue les embardées et s’étale fréquemment dans le ruisseau ; qui voit, au paroxysme de son extase, des souris bleues et des éléphants roses. C’est ce type-là qui provoque la verve des journaux amusants.

L’autre type d’ivrogne a de l’imagination et des visions. Cependant, lors même qu’il tient la plus joyeuse cuite, il marche droit et d’un pas naturel, sans jamais chanceler ni tomber, sachant exactement où il se trouve et ce qu’il fait. Ce n’est point son corps qui est ivre, mais son cerveau. Selon le cas, il pétillera d’esprit ou s’épanouira dans une bonne camaraderie. Peut-être entreverra-t-il des spectres et fantômes, mais intellectuels, d’ordre cosmique et logique, dont la vraie forme est celle des syllogismes. C’est alors qu’il met à nu les plus saines illusions de la vie et considère gravement le collier de fer