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tard il fut fusillé à Benicia, le juge avoua qu’il n’avait jamais vu un homme si large d’épaules étendu sur les dalles de la morgue.

Nelson ne savait ni lire ni écrire, bon père l’avait traîné à sa suite sur la baie de San Francisco, et la vie de bord lui était devenue une seconde nature. Sa force était prodigieuse, et sa réputation de violence, parmi les gens de mer, n’était rien moins qu’exemplaire. Il lui prenait des rages de Berseker[1] et, à ces instants-là, il se laissait aller à des actes insensés et effroyables. Je fis sa connaissance lors de la première croisière du Razzle-Dazzle et je le vis mettre le Reindeer à la voile en un clin d’œil et draguer des huîtres aux yeux de nous tous, qui restions mouillés sur deux ancres, par crainte de nous échouer.

Quel type, ce Nelson ! Un jour qu’il passait devant le cabaret de la Dernier Chance, il m’adressa la parole. Mon orgueil ne connut plus de bornes. Ce fut bien autre chose lorsqu’il m’invita spontanément à entrer pour prendre quelque chose.

Devant le comptoir, je bus un verre de bière avec lui, et lui parlai, comme un homme, d’huîtres, de bateaux et de la mystérieuse décharge de gros plomb à travers la grand’voile de l’Annie. Nous continuâmes à bavarder. Il me parut étrange de nous attarder ainsi absorbé notre bière. Était-ce à moi de faire le premier geste pour sortir, alors ou grand Nelson préférait s’accouder au comptoir ?

  1. Guerriers de la mythologie scandinave, revêtus de peaux de bêtes, qui se comportaient à peu près comme des loups-garous. D’une force énorme, ils étaient invulnérables au feu et au fer. (N. D. T.).