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CHAPITRE IX

Mon « Razzle-Dazzle »


Mon aptitude à boire se développa graduellement en la compagnie des pilleurs d’huîtres. Si d’un jour à l’autre je devins véritablement un fort buveur, ce fut l’effet non pas d’un penchant pour l’alcool, mais d’une conviction intellectuelle.

Plus je voyais la vie, plus j’en étais épris. Je ne puis oublier mon émotion, la première nuit que je pris part à une incursion que nous avions concertée à bord de l’Annie. Il y avait là de rudes gaillards ne craignant ni dieu ni diable, des rats de quai au corps agile. Certains étaient des libérés, et tous, ennemis de la loi méritaient la prison. Ils portaient des bottes et accoutrements de matelots, et parlaient d’une voix basse et bourrue.

Un d’entre eux, le gros Georges, portait ses revolvers passés à la ceinture, afin de bien montrer qu’il n’était pas venu là pour rire.

Quand je revois tout cela, je sais parfaitement que c’était bas et stupide. Mais, à cette époque, je ne regardais pas en arriéré ; je coudoyais John Barleycorn et commençais à le tolérer. J’avais (levant moi une vie périlleuse et cruelle. Je vivais en fin les aventures dont j’avais lu tant de récits.

Nelson, surnommé « Le Jeune Griffeur » Young Scratch, pour le distinguer de son père « Le Vieux Griffeur » Old Scratch, naviguait sur la chaloupe Reindeer, en compagnie d’un certain « Le Peigne »[1].

Le Peigne était un risque-tout, et Nelson un fou furieux. Il avait vingt ans et le corps d un Hercule. Quand deux ans plus

  1. Clam, mollusque du genre peigne, au quel appartiennent les coquilles Saint-Jacques (N. D. T.)