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une lointaine maturité. Oh ! je me faisais l’effet d’un jeune démon peu ordinaire ce matin-là, lorsque, ayant hissé la grand’voile et levé l’ancre, nous orientâmes au plus près et courûmes au vent sûr le chenal de trois milles qui débouchait dans la baie.

Voilà comment j’échappai à la tâche épuisante de la machine pour faire connaissance avec les pilleurs d’huîtres. Certes, la boisson avait présidé à cette connaissance et promettait de continuer à jouer son rôle dans cette vie. Mais devais-je m’en tenir à l’écart pour une aussi piètre raison ? Partout où les hommes menaient une existence libre et large, ils buvaient. Le romanesque et l’aventure semblaient toujours descendre la rue bras-dessus bras-dessous avec John Barleycorn. Pour connaître les deux premiers personnages, il me fallait fréquenter le troisième ; autrement je n’avais qu’à retourner à ma bibliothèque gratuite, lire les exploits d’autrui et borner les miens à rester l’esclave de la machine, à dix cents l’heure.

Non, je ne me laisserais pas détourner de cette vie intrépide sous prétexte que les hommes de mer nourrissaient un penchant bizarre et coûteux pour la bière, le vin et le whisky. Qu’importait, après tout, si Leur notion du bonheur impliquait le besoin étrange de m’associer à leurs beuveries. S’ils persistaient à acheter leur poison et à me l’imposer, eh bien ! je le boirais. Ce serait mon tribut à leur camaraderie. Et je n’étais point obligé pour cela de m’enivrer. N’avais-je pas gardé mes idées nettes, cet après-midi de dimanche ou j’avais décidé l’achat du Razzle-Dazzle, alors que les deux autres en avaient leur compte ? Eh bien ! je pouvais continuer ainsi à l’avenir : boire quand cela leur ferait, plaisir, mais éviter avec soin l’abus de la drogue.