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dédaignant de monter avec lui dans son bateau à la minute où j’apparaissais en vue, était la risée de toute la côte ? Et, pour la même raison, comment discerner que les manières réservées de son frère Pat envers moi ne provenaient que d’une disposition naturelle à la mélancolie ?

Whisky Bob me prit à part :

— Ouvre l’œil, murmura-t-il. C’est moi qui te le dis. French Frank fait une sale tête. Je vais remonter la rivière avec lui, acheter une goélette pour la pêche aux huîtres. Quand il redescendra sur les bancs, fais bien attention ! Il se promet de te couler. À la nuit, dès que tu le sauras aux environs, change ton mouillage et amène ton fanal de position. Compris ?

Oh ! sûrement que je comprenais J’acquiesçai de la tête et, comme un homme en face d’un autre, je le remerciai de son tuyau. Puis je rejoignis indolemment le groupe au comptoir. Non, je ne régalai point. J’étais loin de supposer qu’on attendait cela de moi ! Je m’en allai avec l’Araignée et, maintenant encore, les oreilles me cuisent quand j’essaie de conjecturer les propos tenus sur mon compte.

Je demandai à l’Araignée, d’un air détaché, ce qui rongeait French Frank.

— Il est fou de jalousie contre toi, répondit-il.

— Tu crois ? dis-je, et je laissai tomber le sujet comme, dénué d’importance.

Mais quiconque voudra bien se mettre à ma place concevra l’orgueil d’un jeune coq de quinze ans en apprenant que French Frank, l’aventurier de cinquante ans, le matelot qui avait roulé sur toutes les mers du monde, était jaloux de lui — à propos d’une fille au nom romanesque de Reine des Pilleurs d’huîtres !

J’avais lu de ces choses dans les romans et je ne croyais pouvoir les vivre que dans